Laurence Mollaret
Dans le cadre de la Journée Européenne du Patrimoine, la commission Tourisme et Culture de la mairie de Sénergues a organisé un circuit de découverte de châteaux et de chapelles anciennes. Cette année, le circuit comprenait une halte savoureuse et instructive dans la ferme de Jean Bernard-Fayel, chemin de Lestaral à Sénergues. Cet exploitant agricole, apiculteur et Technique Sanitaire Apicole (TSA), a organisé un splendide «musée à ciel ouvert» autour des ruches de nos ancêtres : les ruches-troncs et les ruches-paille. La «scénographie» de l’exposition permettait de circuler parmi des pièces authentiques ou des ruches remises en activité mais aussi d’assister à des étapes de leur fabrication, accompagnées par les explications des artisans concernés et de la présentation de leurs outils spécifiques. Des apiculteurs de loisir du Rucher de Santé de l’abeille d’Entraygues-sur-Truyère participaient aussi à cette journée, partageant avec les visiteurs leurs connaissances et expériences de l’apiculture de loisir.
Depuis très longtemps les hommes ont fabriqué des ruches, c’est à dire des habitats artificiels qui permettent la domestication de l’abeille. Elles sont présentes sur les fresques des tombeaux de Louxor en Egypte au VIe siècle av. JC et sur une peinture rupestre datant de 7000 ans dans une grotte de la région de Valence en Espagne qui atteste de la pratique de la récolte du miel par les hommes préhistoriques.
Les ruches-troncs, « bourgnóu » en occitan, sont construites dans des troncs de châtaignier Fig1. Elles, imitent au mieux les arbres creux dans lesquels les abeilles installent naturellement leur colonie après essaimage. Les morceaux de troncs de châtaigniers, d’une soixantaine de cm de hauteur, sont évidés, afin de laisser 10 cm à 15 cm de paroi Fig2 &3. Ils sont investis dans leur partie basse par l’essaim, qui bâtit ses rayons sous un croisillon de bois qui servira de charpente aux rayons du corps de la colonie. Au-dessus la partie haute est réservée à la construction de rayons de réserve de miel ou brèches que l’apiculteur prélevait pour faire la récolte de miel, sans détruire la colonie. Différentes ruches-troncs sont exposées, laissant voir leur petit couvercle de bois amovible qui permet de visualiser l’intérieur de la ruche. Les bourgnóu sont protégés par deux lauzes, une pour le plancher et une pour le toit. Ces grandes et lourdes lauzes, sont taillées en cercle pour assurer la protection de la ruche des intempéries notamment de l’humidité mais également des pillages éventuels par divers animaux gourmands de miel.
Un peu plus loin dans l’allée, un sac de toile de jute suspendu au-dessus d’une jatte en terre vernissée permet de comprendre la technique ancienne d’extraction du miel : les brèches récoltées sont placées dans le sac. Elles étaient broyées manuellement, pour libérer le miel, qui coulait à travers de la toile, afin de le récolter.
Des ruches en paille Fig 4 & 5, de formes et de tailles diverses, utilisées autrefois pour plusieurs d’entre elles, sont présentées par Michel Bartomeuf, apiculteur et vannier de loisir à Entraygues. Michel explique leur usage et montre la technique de leur tressage en paille de seigle liée par des lanières écorcées de ronces. La ruche en paille offre à l’abeille un habitat très intéressant car la paille est un excellent isolant mais qui nécessite d’être abrité de la pluie pour éviter l’absorption de l’humidité, ce que l’abeille craint bien plus que le froid.
Le seigle est récolté encore en fleur afin de fournir une paille souple qui est tressée en « boudins » et maintenue en forme par les fines lanières de tige de ronce écorcée Fig 6.
Un travail de longue haleine, qui requiert du temps et un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération, souvent pratiqué par les hommes, durant l’hiver. La paille tressée était aussi utilisée pour faire des récupérateurs d’essaims coniques Fig 7. dont le diamètre correspondait à celui des bourgnóu dans lesquels les essaims allaient être transvasés. Des paniers ronds en paille tressée avec couvercle étaient aussi utilisé pour récupérer les essaims Fig 8.
L’allée d’exposition se prolongeait à ses deux extrémités par deux ruches traditionnelles avec leurs colonies d’abeilles, en haut un grand bourgnóu et en bas par une ruche en paille abritée dans une caselle. Pour parfaire le tout un potager en contrebas de la ferme avec de magnifique potirons surveillés par un grand lièvre et un renard empaillés. Les animaux étaient si criants de vérité que les personnes et les rapaces s’y trompaient ! Hormis le vent assez qui a nécessité l’installation de grandes bottes de paille pour abriter le « musée éphémère », la météo était favorable, les abeilles étaient calmes les nombreux visiteurs ont pu les observer de près et petits et grands étaient ravis !
La promenade dans l’allée bordée des ruches anciennes était un sésame pour entrer dans l’histoire de l’apiculture traditionnelle est toujours présente dans la mémoire des anciens. Mais c’était l’occasion de découvrir une période «fixiste» ou les ruches duraient plusieurs générations. Les ruches ancestrales offraient un habitat à l’abeille qui en aménageait l’intérieur à leur convenance au contraire de nos ruches modernes qui comportent des cadres mobiles, et dont l’architecture intérieure est imposée par l’homme. Cette pratique récente (datant du milieu du XIXe siècle), dénommée «le mobilisme», permet la surveillance de la colonie à l’intérieur de la ruche et elle facilite une récolte abondante du miel et permet les transhumances.
Le vieux four à pain avait chauffé depuis plusieurs jours et de bonnes odeurs de bois, de choux, de tomates et d’oignons farcis ainsi que celles, sucrées, des tartes aux fruits régnaient dans la cour de la ferme où diverses informations autour de l’abeille étaient proposées. La prédation du frelon asiatique sur nos ruches et les moyens de l’identifier, de connaître son écologie et de le combattre occupait la première table. Les explications données par Jean Blanchot, Président du GDSA12, qui nous a fait l’honneur de sa présence durant cette journée, permettaient de sensibiliser les visiteurs et ainsi de les associer à la pose de pièges sélectifs au printemps lorsque les reines fondatrices sortent de leurs caches afin de créer un nid primaire, moment clé pour intervenir! Jean Blanchot et Laurence Mollaret accueillaient les visiteurs autour d’une ruche de démonstration vitrée, dispositif qui permet l’observation de très près et en toute sécurité des abeilles, des alvéoles, du couvain. sur un cadre de ruche. La grande attraction était alors de rechercher de la reine parmi toutes ses ouvrières !
Les visiteurs découvrent ainsi que chaque année, afin de faciliter le suivi de ses colonies et la gestion de son élevage, l’apiculteur « marque » les nouvelles reines. Une couleur est attribuée annuellement (rouge en 2023) ce qui facilite le repérage de la reine au milieu de toutes les ouvrières lors des visites de routine. Elle permet de connaitre l’âge de la reine et, partant, le suivi de l’évolution de sa ponte annuelle au fil des ans.
Grands et petits, les yeux rivés sur la vitre, ont cherché la reine ! Cet intérêt majeur manifesté pour la présence de la reine lors d’une journée du patrimoine incite bien sûr à élargir notre curiosité patrimoniale aux richesses matrimoniales tant méconnues encore dans notre société !
Au-delà de ces débats d’actualité autour des journées du patrimoine, l’engouement du public est le marqueur de l’intérêt de découvrir des pratiques anciennes, des histoires familiales et des savoir-faire presque en voie de disparition. L’apiculture, le temps d’une journée, a permis de relier le passé au présent de façon simple, accessible, concrète mais également amusante et gourmande !
Une chose est sûre, cet agréable dimanche de fin d’été aura enrichi, par ces échanges, nos vies, renforcé nos amitiés et fait connaître et aimer nos abeilles. La beauté des lieux et la convivialité que sait à merveille créer la famille Fayel nous montre que notre vie est belle en Aveyron !